

Haidar, Mazen, « Les pratiques de réparation spontanées durant la guerre du Liban.. Vers un nouveau récit du bâti de la ville de Beyrouth », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a26
Résumé Dans cette contribution nous cherchons à décrire et problématiser les pratiques de réparation et de réhabilitation spontanées opérées par les résidents de la ville de Beyrouth durant le long conflit armé (1975-1990). Limitée souvent à la question du réaménagement de son centre-ville, l’historiographie de la reconstruction de la capitale libanaise n’aborde la question du rapport des usagers à leur espace domestique qu’à travers une dénonciation des conditions précaires de la vie quotidienne pendant les années de crise. Même lorsqu’ils font l’objet de travaux de recherche académique au début de l’après-guerre, les systèmes de sécurisation et d’adaptation instaurés au fur et à mesure par les résidents ont rarement nourri les réflexions sur l’habitat et l’architecture du XX siècle au Liban à l’échelle plus globale. De l’évolution des pratiques au sein de l’espace intime à celle du voisinage, en passant par des frontières de moins en moins étanches entre public et privé, l’habitat témoigne d’une mémoire sociale durant le conflit loin d’être effacée aujourd’hui. La longue parenthèse de la guerre semble avoir effectivement laissé ses empreintes sur le rapport entre l’habitant et l’espace domestique : ce dernier doit non seulement faire face à une infrastructure urbaine défectueuse mais aussi défendre ses occupants d’un environnement extérieur de plus en plus hostile. Dès lors, « habiter » signifie apporter des solutions aux rationnements de l’eau courante ou du courant électrique, mais aussi reproduire par le biais de l’espace de vie (à savoir l’appartement de l’immeuble de rapport), un modèle de confort et de sécurité alternatif au monde externe. En temps de crise, ce modèle doit combler un manque tout en se détachant progressivement et en s’isolant de son contexte urbain.
Si le grand projet de la réhabilitation de l’immeuble Barakat sur la ligne de démarcation et la préservation des traces physiques de la période traumatique ont été les marqueurs de l’apparition du questionnement sur la valeur de la mémoire vivante du trauma, l’histoire de l’habitat en temps de guerre ainsi que celle des pratiques d’appropriation et des cycles de reconstruction à petite échelle demeure nettement moins structurée. Quelle place ces pratiques rejetées dans le récit officiel de la reconstruction occupent-elle dans la narration de l’histoire du bâti ? Dans quelle mesure les expériences de réparation et de réhabilitation spontanées ont-elles influé sur le regard porté sur l’architecture du XX siècle par ses résidents ? Et enfin que signifierait la patrimonialisation de ce chapitre de l’histoire de l’environnement bâti destiné à perdre progressivement ses référents physiques ?
Tout en soulignant l’évolution sémantique de la guerre et de la destruction, nous nous intéresserons dans cet article à l’évolution de l’attitude des résidents de Beyrouth vis-à-vis de la destruction, et de l’agencement, la réparation ou ou la remise en état qui en ont en ont découlé. Constitué principalement d’extraits de la presse libanaise, datant de la période de la guerre des deux ans (1975-1977), le corpus retenu comprend aussi des enquêtes de terrain organisées à partir de la deuxième moitié des années 1980 mais aussi d’œuvres littéraires publiées durant la guerre entre 1983 et 1989.