

Lecœur, Christelle, « Le rôle des réseaux sociaux dans l’identification du patrimoine domestique libanais », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a31
Résumé
Le Liban a connu pendant quinze ans (1975-1989) une longue guerre civile qui a engendré exil, diaspora, déplacement de populations et squats.
Aujourd’hui encore dans le territoire de Beyrouth, sa capitale, et territoire support de nos propos, des immeubles de logement ou maisons demeurent abandonnés, laissés bien souvent dans l’urgence par leurs habitants avec leur contenu, même le plus intime. Parfois, ils ont été réinvestis par des réfugiés de tout horizon subissant les troubles de la région. Parfois, ils sont comme des archives ouvertes d’un quotidien fracturé, une accumulation de traces de vie qu’un archéologue pourrait étudier comme témoignage de décennies récentes.
De part ce statut d’abandon qui ne semble guère temporaire, certains de ces immeubles ou maisons font partie aujourd’hui d’un bâti menacé par la pression foncière vertigineuse de la ville et sa financialisation alors qu’il est souvent considéré comme un patrimoine à protéger, qu’ils soient considéré comme « traditionnel » (1) mais aussi, bien que plus rarement, moderne.
Plus visible et emblématique auprès de l’opinion, ce patrimoine dit traditionnel est principalement représenté (mais pas uniquement, nous le montrerons) par la maison à trois arcs, typologie architecturale métissée tardive et hybride qui cependant fait consensus dans la construction de l’identité patrimoniale commune libanaise, l’un des enjeux de la prise de conscience de sauvegarde d’un héritage partagé. Bien qu’il ait fait l’objet d’un inventaire officiel, ce dernier n’en a pas moins été largement amputé, en l’absence d’une réelle législation engagée, pour des raisons de rentabilité foncière et spéculative.
Aussi, bien qu’identifiés comme un patrimoine reconnu mais en danger, ces immeubles disparaissent peu à peu du tissu urbain, effaçant une certaine échelle domestique ainsi que des espaces de végétation et de nature préservée en ville et plus particulièrement dans les quartiers historiques, laissant place à des tours ou immeubles de grande hauteur, occupant toute la parcelle par souci de rentabilité et transformant durablement un paysage urbain en pleine croissance.
Des associations et institutions se mobilisent pour évaluer ce patrimoine et le faire connaître à travers divers outils de communication comme des promenades urbaines organisées. Des opérations de sauvetage sont opérées également, notamment par le biais touristique. Cependant, aujourd’hui, la meilleure lisibilité que ce patrimoine connaît pour sa sauvegarde se trouve sur les réseaux sociaux et notamment facebook mais surtout instagram, les deux se dédoublant et recoupant aisément. Or, plus que par des associations à vocation patrimoniale ou culturelle comme savebeirutheritage, beirutheritage, la meilleure visibilité faite à ces bâtiments se trouvent sur des sites d’urbex, pratique encore émergente au Liban, mais regroupant un groupe identifié et indentifiables d’acteurs aux intentions variables. Elles peuvent être esthétiques, photographiques, mémorielles, transgressives voire économiques mais toutes jouent cependant de cette articulation du secret (sans divulguer les adresses des bâtiments) et du public (la plublication en soi sur internet et aussi le fait que beaucoup de bâtiments sont très connus et donc facilement identifiables)
Ces sites, par des liens comme urbexbeirut, urbexlebanon, ou ceux liés à des individus membres d’une communauté d’urbex … constitue de manière expansive une véritable base de données, voire un inventaire qui n’existe pas réellement sous une autre forme et crée un registre aujourd’hui éparpillé et non constitué si ce n’est que virtuellement, reconnaissant une valeur à l’habitat comme patrimoine à documenter et sauvegarder.
Partant de l’analyse de plusieurs sites et de la construction du phénomène de l’urbex, l’article proposera à partir de rencontres et d’interviews de ses acteurs, un panorama élargi à la fois de la pratique même de l’urbex au Liban, des sites, des intentions mais également à travers les lieux repérés, les commentaires présentés. Il définira comment ils révèlent une architecture domestique élargie en terme d’architecture, la maison dite traditionnelle étant souvent dépassée par d’autres références qui ouvrent de nouvelles dimensions patrimoniales et les valorisent dans une démarche participative avec cependant le risque de part cette nouvelle forme de médiatisation d’en détourner les bénéfices patrimoniaux pour raisons économiques.
(1) Le terme est utilisé dans les titres de signalétique de rues considérées comme à caractère traditionnel.