

Preuil, Sébastien, « L’habitat rural traditionnel khmer.. Une patrimonialisation difficile par les populations du Cambodge », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a28
Résumé
Angkor est un site archéologique au Cambodge qui s’étend sur plus de 400 km² et sur lequel se répartissent environ 112 villages. Le parc d’Angkor comme il est appelé, est associé par l’UNESCO à un site vivant car espace vécu où des individus aisés comme moins fortunés s’adonnent à leurs activités journalières. Cependant vivre à proximité d’un site comme Angkor est synonyme de contraintes concernant l’habité. Pour protéger l’écrin paysager autour des temples, l’autorité Apsara en charge de la gestion du site interdit aux résidents d’édifier de nouvelles constructions et de changer l’aspect de sa maison sur pilotis. Or pour les cambodgiens, édifier une bâtisse en dur avec des matériaux plus solides lorsqu’on en a les moyens est chose courante, un acte qui démontre une ascension sociale. La majorité des khmers ne considèrent d’ailleurs pas l’habitat rural traditionnel comme un objet patrimonial. Ce dernier est surtout perçu par les gens des villes comme l’habitat des paysans, donc des plus pauvres. Quant à ces ruraux vivant dans ces maisons sur pilotis, ils associent leur habitat à un espace de vie, un toit pour dormir. Cette idée de patrimonialiser des objets vernaculaires est donc une idée de l’UNESCO et d’une élite occidentalisée ouverte aux idées du tout patrimoine. Il est probable que l’habitat traditionnel khmer sera difficilement considéré par les populations comme un objet patrimonial à moins que les habitants en tirent profit au moins économiquement comme on peut l’observer hors du parc d’Angkor. En effet, dans la compagne khmère autour de la ville de Siem Reap la capitale provinciale, l’habitation traditionnelle est valorisée sur le plan touristique du fait que nombreux sont les visiteurs à vouloir découvrir le quotidien des populations. Quelques agences ont compris ce besoin des touristes d’expérimenter d’autres facettes du pays et développent des séjours à la découverte de la campagne khmère. Certains proposent une nuit chez l’habitant dans une maison sur pilotis, d’autres une journée dans un village avec maintes activités possibles. Théoriquement, un projet touristique de ce type, s’il s’inscrit dans une démarche réellement responsable, peut favoriser le développement et par conséquent une patrimonialisation dite économique. En effet, l’économiste Xavier Greffe stipule que avant d’observer une patrimonialisation dite sociale, historique ou encore d’ancienneté (1), il faut parfois passer par une phase de patrimonialisation économique, à savoir valoriser un objet par rapport au revenu qu’il est susceptible d’apporter. Et ce n’est qu’une fois extirpées de leur situation de précarité, que les populations vont peut être considérer différemment l’objet marchandisé via l’apparition de valeurs plus symboliques (sociale, d’ancienneté, historique etc.). Cependant ce modèle de patrimonialisation ne fonctionne pas pour le cas de l’habitat traditionnel khmer où les habitants des maisons mises en tourisme n’y voient que l’aspect lucratif. S’observe certes une certaine sauvegarde de l’habitat traditionnel parmi les plus rustiques alors que l’hôte a gagné de l’argent et qu’il pourrait aisément passer à l’étape supérieure de transformation de sa maison. Mais cet immobilisme est seulement motivé par l’appât du gain. Il s’agit donc davantage de folklorisation et de simulacre. Même si le schéma architectural de ces habitations est ancien et existait au temps d’Angkor, à l’heure actuelle il n’y a pas de reconnaissance historique, ni d’attachement et de fierté à vivre dans ce type d’habitat surtout les plus rustiques qui sont synonymes de pauvreté. Il faudra peut être attendre que le Cambodge se développe davantage, que l’ensemble des Cambodgiens deviennent plus riches et voir ce type d’habitation se raréfier pour que l’habitat rural khmer devienne un réel objet patrimonial vis-à-vis de la population. C’est l’avis de certains chercheurs comme l’historien Jean Michel Leniaud qui considère que la patrimonialisation de certains objets est effective à la seule condition que ceux-ci ai perdu leurs fonctions originelles ou alors qu’ils soient porteurs de sens du passé et témoins d’une époque donnée comme le suggère le sociologue Jean Davallon.
Photo de Sébastien Preuil, 2012. Habitations traditionnelles rurales sur pilotis non loin du lac Tonlé Sap.
(1) Cela a été le cas par exemple pour les temples d’Angkor. Certaines personnes très pauvres que nous avions interrogé lors de notre thèse n’avaient pas ou plus d’affinité particulière avec les temples qu’ils accusaient même pour certains d’être responsables de leur situation de précarité à cause du développement du tourisme qui a engendré des expulsions et des hausses du prix des terrain et des denrées alimentaires. Or en obtenant un emploi direct ou indirect en lien avec le secteur du tourisme susceptible d’améliorer leur bien-être, la tendance s’est souvent inversée et l’on a assisté à un regain d’intérêt pour ces populations vis-à-vis des temples qui sont redevenus petit à petit des symboles, dans un premier temps économiques, puis par la suite historiques, identitaires ou/et religieux.