Dossier
Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ?
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Pour citer cet article :

Peredo, Leandro, « Habitat en Lutte. Représentations du droit à la ville dans le Musée Historique National du Brésil », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a29

Habitat en Lutte
Représentations du droit à la ville dans le Musée Historique National du Brésil

Par Leandro Peredo
Architecte et urbaniste, Leandro Peredo est doctorant au LAA-LAVUE UMR 7218 en Architecture, villes et Territoires. Il (...)

Résumé
L’analyse des situations a une longue histoire en anthropologie et a offert une grande contribution aux débats sur les échelles d’enquête et d’analyse. En suivant les pistes de l’anthropologie situationnelle, cet article part de la description d‘une situation spécifique sur la patrimonialisation d’un habitat populaire, pour ensuite la contextualiser, prendre en compte le système général de sa constellation d’acteurs, pour finalement évaluer pleinement sa signification. En ce qui concerne la situation en question, il s’agit de la présentation publique d’une nouvelle exposition permanente au Musée Historique National du Brésil, scène vécue lors d’une enquête de terrain à Rio de Janeiro.
Conçue à partir de l’acquisition de débris provenant de la destruction d’une favela, résultat d’un processus d’éviction forcée à l’époque des Jeux Olympiques de Rio en 2016, la nouvelle exposition a été présentée par le Musée National comme un moment charnière. Le début d’une nouvelle approche muséale prônant une construction commune de l’histoire républicaine brésilienne. N’admettant pas la perspective de droits fondamentaux acquis, la nouvelle exposition se chargerait de situer l’acquisition des droits à la lumière des réussites et des échecs des luttes citoyennes multiples au sein de la société brésilienne.
Si chaque objet patrimonialisé dans la nouvelle exposition est ce qu’il reste d’un habitat absent, le vestige d’un habitus individuel, il est aussi un corps social manquant, appelant toujours à la réparation du traumatisme expropriateur de l’éviction. L’acquisition de ces objets par le Musée Historique National suscite donc plusieurs questions : de quels fantômes ces objets sont-ils le reflet ? Une telle mise en patrimoine aurait-t-elle un rôle réparateur ? Ou bien cherche-t-elle à exotiser les « aléas » de la construction d’un imaginaire de ville, dont les expulsions sont leitmotiv ? Finit-elle par assumer la vocation première du patrimoine dans la construction d’un récit national ? Ou bien créée-t-elle des nouvelles mémoires collectives ?
De façon à comprendre l’épaisseur relationnelle que la scène évoque, l’article se propose de retracer sa généalogie pour examiner le long parcours d’attribution de valeur patrimoniale dont les objets acquis font preuves. Ceci invite à décrypter un geste curatorial premier, forgé au sein de la favela en question, dans un souci collectif pour sauvegarder la mémoire de lutte des habitants contre la destruction de leur quartier. La création par les habitants d’un écomusée a été ce geste curatorial initiatique, voulant préserver la connexion symbolique, la mémoire émotionnelle et les pratiques sociales des habitants expulsés. Ceci a conduit à la formation d’une collection propre, formée par des débris et des vestiges du quotidien des maisons détruites, dont certains dorénavant appartiennent au Musée Historique National. La création de cet écomusée s’insère, toutefois, elle aussi dans une généalogie plus profonde qui invite à comprendre le déplacement de sens critique sur la capacité de représentation des musées traditionnels, l’émergence ambivalente de la muséologie sociale dans la politique muséale brésilienne, et enfin son déploiement fécond dans des initiatives citoyennes à Rio.
L’analyse situationnelle ne serait aucunement complète sans mettre en rapport le système de relation décrypté avec les caractères dominants de la scène. L’article structure ainsi la situation de départ en fonction de deux indices qu’elle contient : l’ambiguïté des notions de discours et de pouvoir. Car autant notre scène illustre l’incorporation de la mémoire locale à la mémoire nationale, la participation des communautés non dominantes à la patrimonialisation officielle engendre elle aussi l’hésitation de renforcer l’autorité du discours officiel. C’est là que l’anthropologie apporte une contribution pertinente à la discussion. Car si le patrimoine est interprété, non pas à travers des artefacts enchantés, mais plutôt comme un espace d’interaction qui accentue certaines caractéristiques de la dynamique sociale, l’on peut comprendre comment les discours et les techniques de pouvoir opèrent par biais de la patrimonialisation.
Finalement, en présentant le potentiel des luttes urbaines dans la préservation de la mémoire des dépossédés, l’article cherche aussi à problématiser la notion de patrimoine comme outil de résistance. Autant elle se démontre capable de créer des nouvelles utopies citoyennes, aussi contribue-t-elle à bâtir la nouvelle tradition dominante.

© Crédits photo : www.facebook.com/vivaavilaautodromo

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