

Basset, Karine, « De la trace au patrimoine. Acteurs et enjeux de la patrimonialisation d’un quartier d’immigration auto-construit à Marseille », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a40
Résumé
Les opérations de rénovation urbaine donnent lieu, depuis la fin des années 1980, à des actions de collecte et de mises en visibilité des mémoires des habitants des quartiers détruits, tissant à la fois un récit de la « localité » (la mémoire des résidents) et des parcours migratoires (Baussant, Chauliac, Dos Santos, Ribert, Venel : 2014). L’îlot Chieusse Pasteur, dans le XVIe arrondissement de Marseille, fait l’objet d’un processus de patrimonialisation qui débute à la fin des années 1990, lorsqu’est programmée la démolition-reconstruction de ce quartier construit par des générations d’immigrants successifs (Barou, 1986).
Cette patrimonialisation (1) présente plusieurs particularités intéressantes. Elle est d’abord celle d’un artefact, la maquette de l’ilot, réalisée par un collectif d’architectes réagissant à l’annonce de destruction, puis « redécouverte » dix ans après par d’autres acteurs qui s’inquiètent de la dégradation et de la possible perte de cet objet-mémoire et militent pour l’entrée de la maquette au Musée d’histoire de la ville de Marseille (Urbanisme, 2017). Emerge alors un débat sur le statut de cet objet patrimonial et sur la possibilité de produire, à partir de l’image reconstruite de l’habitat, une mémoire de l’habiter et un récit de l’histoire sociale dépassant le seul récit du lieu. L’analyse de ce débat, articulée à une archéologie des discours de toute nature qui ont permis l’accession partielle d’un lieu d’immigration populaire à la dignité patrimoniale, permet d’aborder plusieurs questions :
— L’objet-mémoire (la maquette) peut-il combler le littéralement « trou de mémoire » (Chavanon, 1997) qu’est devenu le lieu ?
— Quelle articulation entre le travail mémoriel opéré à travers la maquette et le projet architectural de reconstruction/relogement, censé reproduire la singularité de l’habiter à Chieusse-Pasteur ?
— Dans quelle mesure le projet muséal, centré sur l’artefact, participe-t-il d’un « processus d’effacement institué des mémoires migratoires » des habitants (Bertheleu, Dassié, Garnier, 2017), au profit de la seule mémoire dépolitisée des lieux ?
Travail sur l’histoire et la mémoire d’un quartier de l’Estaque, avec les élèves de CM1 et CM2. Photo : J. Vialle, 2009
Note
(1) En suivant M. Rautenberg (2003), on adoptera la définition : un processus évolutif, au cours duquel une « chose » est reconnue de manière inédite (il y a changement de regard) comme héritage d’une communauté (au sens large), authentifiée comme telle par une autorité et pouvant aboutir à la conservation ou à des mesures de préservation de la chose elle-même dans sa matérialité ou de l’idée qu’elle porte.
Bibliographie
Baussant M., Chauliac M., Dos Santos I., Ribert E., Venel E., « Introduction », Communications, n°100 Des passés déplacés, mémoires des migrations, 2014, p. 10-17.
Barou Jacques, « Genèse et évolution d’un village urbain. Un groupe d’émigrés algériens dans un ensemble d’îlots du XVIe arrondissement de Marseille », Ethnologie française, 16/1, janv-mars 1986, p. 59-76.
Bertheleu H., Dassié V., Garnier J., « Mobilisations, ancrages et effacement de la mémoire », dans N. Barbe et M. Chauliac, L’immigration aux frontières du patrimoine, 2014, p. 25-42.
Chavanon O., « Où sont passés nos villages nègres », Revue européenne des migrations internationales, 1997/1, p. 191-200.
« De la trace au patrimoine, histoire d’une maquette », interview de Sophie Deshayes et Bertrand Reymondon, Urbanisme, 2017, n°406 Actualité du bidonville, p. 45-46.