

Zheng, Shanshan, « Chikan : un district, deux contes.. Revitalisation d’une tradition religieuse locale et régénération d’un quartier de l’ancienne concession française à Zhanjiang, Chine », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a27
Résumé
Avec la ratification par la Chine de la Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985 et puis celle de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2004, les systèmes chinois de protection du « patrimoine culturel » ont progressivement été intégrés aux structures internationales. Dans ce contexte, à l’interface entre les stratégies de patrimonialisation, les modes gouvernances qui l’accompagnent et les démarches mises en œuvre par les « sujets patrimoniaux » (Kirshenblatt-Gimblett, 2004 ; Givre, 2012), cet article explore les conflits entre autorités et locaux en matière de développement patrimonial dans la société locale en Chine depuis les années 1980.
Le processus de patrimonialisation en Chine d’aujourd’hui se caractérise par le dynamisme des sujets patrimoniaux, à savoir que les engagements des chercheurs locaux, des groupes sociaux et des habitants sont particulièrement d’importance, en ce sens qu’elles montrent les positions plurielles et médianes de ces utilisateurs immédiats d’un patrimoine, en s’inscrivant dans une visée de transformation (urbanisation, développement et globalisation…).
Le district de Chikan, qui se situe au centre de la ville préfecture de Zhanjiang dans la province du Guangdong en Chine, a été choisi en tant qu’objet de cette étude. Son processus de reconstitution et de revalorisation de cultures, de mémoires et d’histoire qui avaient été réprimées ou négligées pendant plus de trente ans (entre les années 1950 et 1980) nous a montré un modèle miniature qui représente une stratégie de patrimonialisation et développement adopté par la société locale en Chine.
Fondé sur trois années (entre 2015 et 2018) de recherches et d’observations sur le terrain, ce travail vise à rendre visible les mécanismes de patrimonialisation chinoise au niveau local qui restent encore méconnus. Les trois parties de cet article auront permis de mettre en lumière comment le patrimoine est utilisé comme ressource politique, culturelle et économique au niveau local.
La première partie de cet article a suivi et retracé les transformations spatiales et sociales au cours du processus de patrimonialisation du district de Chikan. Chikan était un port commercial ancien depuis la Dynastie Qing (vers 1711). Entre 1898 et 1946, rattaché administrativement à l’Indochine française, il était un centre commercial de la concession française – Territoire de Guangzhouwan qui comptait notamment la ville actuelle de Zhanjiang. Dans les années 1980, les réformes économiques ont engendré des mutations urbaines rapides caractérisées par deux phénomènes majeurs : Premièrement, au niveau de l’administration territoriale, en 1983, des dizaines de villages, qui étaient sous la juridiction du district Chikan depuis l’époque coloniale, ont été intégrés à la zone urbaine de la ville Zhanjiang en devenant des quartiers. Deuxièmement, les constructions nouvelles encouragées par les autorités locales ont menacé les quartiers historiques.
Dans la deuxième partie, nous avons exploré les périodes débutantes de la patrimonialisation de l’histoire colonial et de la pratique religieuse à Chikan. Dans les années 1950, sous l’influence idéologique de la conception révolutionnaire de l’histoire, le passage de l’histoire colonial de Chikan a été réécrit contre la présence coloniale française. Depuis les années 1990, les études de l’histoire du Territoire de Guangzhouwan effectuées sous la direction du Parti communiste chinois insistaient plutôt sur l’importance de l’histoire locale de la lutte contre la colonisation française en négligeant la pluralité des mémoires et des interprétations de cette histoire coloniale, et donc de la possible valeur historique. Dans le même temps, la résurgence des pratiques religieuse concernant les cultes des divinités locales et des ancêtres s’est remarquée d’abord à la campagne et puis dans la ville par la restitution des temples de village qui ont été détruits pendant la Révolution culturelle.
Dans la troisième partie, nous avons remarqué la flexibilité et la richesse des stratégies patrimoniales que les acteurs locaux ont appliquées pour s’adapter aux attentes diverses de chacun.
Aujourd’hui, le district Chikan possède dix monuments historiques classés et cinq éléments du patrimoine culturel immatériel. De plus, deux quartiers sont en cours d’être patrimonialisés en « secteur historique sauvegardé ». Notre étude de l’effet de ce mouvement patrimonial sur les communautés locales nous montre que, d’un côté, les interventions patrimoniales impliquent inévitablement l’asymétrie du pouvoir, et donc la hiérarchisation entre les sujets patrimoniaux et les autres acteurs locaux de la mise en patrimoine. D’un autre côté, ce processus permet à chacun d’élaborer une « histoire à soi » (Bensa & Fabre, 2001) et d’interpréter « l’esprit du lieu » (Turgeon, 2008).
Photo de Shanshan ZHENG. Un habitant passe devant une statue installée dans le « secteur historique sauvegardé » du district Chikan représentant les locaux de l’époque coloniale, février 2017.