

Feldman, Deborah, « « A true parisian chambre de bonne » », dossier « Patrimonialiser l’habiter : quels usages deviennent-ils patrimoine ? », 14 février 2019, www.reseau-lieu.archi.fr/a36
Résumé
La crise des subprimes s’est révélée être l’aube d’un nouveau modèle économique ; sans production, tourné autour de l’exploitation de potentiels dormants, inutilisés. Avec la baisse du pouvoir d’achat, l’autorisation d’usage se substitue peu à peu au cumul de biens propre au capitalisme ; obtenir l’accès compense l’impératif de posséder (Netflix vs dvd). En 2008, cette nouvelle économie dite du partage émerge en s’appuyant sur les dispositifs et les méandres des réseaux sociaux et le nouveau régime scopique qu’ils imposent. Afin de normaliser cette nouvelle forme de partage entre inconnus, les réseaux offrent « l’espace » necessaire pour la mise en récit et finalement l’échange. Le lit dans la chambre d’enfant parti faire ses études n’est pas un simple meuble, mais une marchandise si l’appareil necessaire est mis en place afin de le montrer et de le valoriser sur le marché.
Une des branches les plus développes de l’économie du partage s’occupe de la mise en relation d’individus pour de la location immobilière. Airbnb, la plus importante plateforme du secteur, offre àses usagers la possibilité de capitaliser l’excès d’espace pour arrondir les fins de mois et aux touristes une alternative moins chère àl’hotel. Airbnb construit sa stratégie de vente sur l’idée que pendant un voyage, une vraie immersion culturelle ne peut être atteinte qu’en habitant dans le cadre ordinaire de vie d’un des locaux. Le patrimoine de Paris n’est plus circonscrit àses rues et musées mais à l’expérience d’habiter dans un appartement « parisien ». Une chambre de bonne, symbole de l’habitat précaire et des loyers immodérés, devient archétype du vivre à la parisienne.
Le chemin à parcourir pour accéder au féroce marché immobilier en ligne est attentivement encadré par Airbnb qui propose (impose) une série d’actions préparatrices auxquelles soumettre son chez-soi. Les conseils varient entre deux injonctions àpremière vue antagoniques : l’épuration et la personnification. La première est le moteur d’un fin mécanisme de standardisation, qui est censée amener l’habiter à son degré zéro, identifiable et praticable par quiconque. Ensuite la personnification s’opère à la fois à travers une mise en scène des objets de pouvoir (objet-récit) et un embellissement des surfaces (placage ou décapage). C’est l’assainissement du chez-soi qui prépare la réception d’une charge expressive et qui permet la patrimonialisation de l’habiter ordinaire.
La mise en scène du cadre spatial est censée raconter une histoire sur le mode de vie, le chez- soi comme objet fétiche. Il ne répond plus àla question primaire de l’abri mais une fois symbole devient bien de consommation. La chambre de 10m2, rendue patrimoine, est la plus petite unité urbaine qui met en place un processus de dépossession et de paupérisation d’une classe moyenne qui peut seulement patrimonialiser ou partir. La patrimonialisation du chez-soi est une dérivation du processus de patrimonialisation du soi auquel nous assistons sur les réseaux sociaux. La patrimonialisation est d’autant une démarche économique qu’une stratégie de survie.
appartement à louer www.leboncoin.fr, 26 janvier 2019